Decrypto est un jeu d’associations d’idées par équipe. Le but est de transmettre des codes à ses alliés sans qu’ils se fassent intercepter par ses adversaires.
L'histoire du jeu
Thomas Dagenais-Lespérance parle de l’histoire de Decrypto dans son carnet d’auteur sur Tric Trac.
L’idée du jeu lui est venu début 2016. Les codes transmis entre partenaires pendant la phase d’enchère au Bridge l’ont toujours intéressé. Il a voulu créer un jeu qui se base sur cette mécanique.
Il a pensé à plusieurs façons de communiquer, mais aucune ne le satisfaisait vraiment. L’idée d’une clés partagée (sous forme de mots) entre les coéquipiers lui est ensuite venue.
Il a rapidement créé et testé un prototype, puis il l’a envoyé au Scorpion Masqué. Christian Lemay l’a refusé, le trouvant trop proche de Codenames. Thomas Dagenais-Lespérance continue de tester son jeu et de le présenter au public.
En mars 2016, il contacte de nouveau Christian Lemay, qui accepte de donner sa chance au prototype et de le tester de son côté. Il fait quelques changements : passage de 3 à 4 mot-clés, chiffres qui ne se répètent pas pour un même code, etc.
Le contrat est signé en avril 2016.
Les machines de chiffrement : Enigma
Enigma est une machine à chiffrer et déchiffrer utilisée par les Allemands des années 30 à la fin de la Seconde Guerre Mondiale.
Son histoire commence avec l’invention de la machine à chiffrer à rotor (des disques) par plusieurs scientifiques à peu près au même moment. On compte ainsi, en 1917, Edward Hebern aux États-Unis, Arvid Damm en Suède, Hugo Koch aux Pays-Bas et Arthur Scherbius en Allemagne.
Enigma a officiellement été inventée par Arthur Scherbius à la fin de la Première Guerre Mondiale, en 1918. La première machine Enigma voit le jour en 1923 et prend plus tard le nom d’Enigma A.
Enigma est une machine électro-mécanique qui ressemble à une machine à écrire. Lorsqu’une touche est pressée, un courant circule et une lampe correspondant à la lettre cryptée s’éclaire. Les rotors tournent et modifient la configuration du réseau à chaque lettre tapée.
Une fois le message chiffré, il est transmis en morse par radio.
Pour déchiffrer le message, le destinataire devait posséder une machine Enigma identique. Des carnets de codes circulaient pour actualiser les machines tous les jours à minuits. Ils étaient valables un mois.
Au début de la guerre, l’Allemagne bénéficiait du système de cryptographie le plus sûr.
Les polonais et les britanniques sont parvenus à percer les secrets d’Enigma, notamment grâce au travail d’Alan Turing. Les machines capables de décrypter Enigma étaient appelées des « bombes ».
Le principe de Decrypto rappelle Enigma et l’histoire de la cryptographie.
Les règles de Decrypto
Principe
Dans Decrypto, les joueurs tentent de faire deviner des codes chiffrés en s’appuyant sur des mots. Chaque chiffre est associée à un mot. Par exemple : 1 -> bleu, 2 -> chat, 3 -> soleil, 4 -> licorne.
Si un joueur doit faire deviner « 4 2 1 » à son équipe, il va s’appuyer sur les mots pour aiguiller les joueurs. Il peut dire : « paillettes », « chien », et « rouge ». « Paillette » fait référence à « licorne », « chien » à « chat », et « rouge » à « bleu » : 4, 2, 1.
Mise en place
Quel que soit le nombre de joueurs, le jeu se joue toujours avec 2 équipes qui se font face. Un joueur est donc assis à côté de ses co-équipiers.
Chaque équipe prend un écran et y insère 4 cartes mot-clés. Chaque numéro est ainsi associé à un mot. Ces mots restent les mêmes pendant toute la partie.
Les équipes prennent un paquet de cartes Code et placent leur feuille sur la face associée à leur couleur.
Déroulement
Decrypto dure entre 3 et 8 manches.
Chaque manche, l’un des joueurs de chaque équipe pioche une carte Code et doit faire deviner la série de chiffres à ses alliés. Ce joueur est appelé « encrypteur ».
Il donne 3 indices (1 sur chaque ligne de sa fiche de score) et ses coéquipiers proposent une série de chiffres.
- Si le code est bon, il ne se passe rien.
- Si le code est faux, les joueurs prennent un jeton Malentendu.
La première manche
Chaque équipe lit ses indices et le code associé à voix haute. L’équipe adverse retourne sa feuille (la feuille est de 2 couleurs : l’une pour son équipe, l’autre pour l’équipe adverse) et les note.
Les manches suivantes
Chaque équipe lit uniquement ses indices à voix haute. L’équipe adverse les note et tente de trouver le code associé.
- Si le code est bon, l’équipe ou les équipes qui ont trouvé gagnent 1 jeton Interception.
- Si le code n’est pas bon, il ne se passe rien.
Fin de partie
La partie se termine si une équipe a 2 jetons Malentendu ou 2 jetons Interception.
- L’équipe qui a 2 jetons Malentendu perd la partie.
- L’équipe qui a 2 jetons Interception gagne la partie.
- Si 2 équipes sont à égalité sur les jetons Interception, celle qui a le moins de jetons Malentendu remporte la partie.
Règles à 3 joueurs
L’un des joueurs tente de craquer le code de l’équipe adverse (composée des 2 autres joueurs). Chaque manche, l’un des joueurs de l’équipe doit faire deviner un code à son allié. Le joueur solitaire cherche ensuite à l’intercepter.
Le jeu est globalement le même que dans le jeu de base, mais si l’équipe échoue, l’intercepteur prend un jeton Interception (il n’y a pas de jeton Malentendu à 3 joueurs). L’intercepteur peut aussi en gagner en devinant le code adverse.
L’intercepteur gagne si il a 2 jetons Interception avant la fin de la 5ème manche. Sinon, l’équipe gagnent.
Jouer en solo
Le Scorpion Masqué a sorti 2 mini extensions solo (ou coopératives) pour la sortie de Decrypto. Elles permettent de se mesurer à des personnalités du monde ludique : Bruno Cathala et Rob Daviau.
Le but est d’intercepter 2 fois leur code. Les cartes représentent 3 mots-clés au recto et la suite de chiffres correspondant au verso. Un paquet contient 6 cartes.
Chaque manche, le joueur lit les mots, note le code qu’il pense être le bon et retourne la carte pour vérifier si il a juste.
Le matériel
La couverture de Decrypto représente une machine recouverte de boutons, d’écrans et de jauges. L’esthétique est rétro.
Certains éléments semblent gérer les chaines, d’autres la fréquence et d’autres encore le volume. L’un des câbles est retenu par un scotch.Un bouton on/off allume ou éteint l’étrange machine. Elle est actuellement sur « on ». Tout en bas, un lecteur permet d’insérer des disquettes.
L’écran à droite de la machine indique :
« D3cr4pt0
USING USERNAME -E.Brown-.
Authentificating with Public key -Scorpion- from agent NuLix D3cr4pto 4.90-3-#1 5MP Debian 4.9.30-2*deb9v2
Last login: Sat Oct 26 1:20:34 1985 »
Decrypto se passe donc après le 26 octobre 1985 1h20. Cette date correspond au premier voyage dans le temps de Retour vers le Futur. Doc (« E.Brown » fait référence à son nom : Emmett Brown) a envoyé son chien Einstein 1 minute dans le futur : du 26 octobre 1h20 au 26 octobre 1h21.
Le nom du jeu est inscrit en haut de la boîte dans un ruban bleu et rouge. La phrase « communiquez en toute sécurité » donne le ton. Mais communique t’on vraiment en toute sécurité… ?
L’auteur et le logo de l’éditeur sont présents au bas de la boîte.
L’arrière de la boîte de Decrypto présente les différents éléments : les écrans, les jetons, les cartes Code, etc. Le principe du jeu est indiquée au dessus : transmettre des codes, ne pas se faire intercepter.
Les informations de l’éditeurs, des illustrateurs, et les caractéristiques du jeu sont notés au bas de la boîte. Un lien mène vers une vidéo d’explication des règles.
Les cartes de mot-clés ressemblent à des fiches à insérer dans une machines. Elles sont codées : le texte en bleu est caché par une sorte de trame rouge. Pour les décoder, il faut les regarder au travers d’un filtre rouge.
Elles sont recto-verso : la clé est bleue d’un côté, rouge de l’autre. Chaque carte contient 4 mot-clés
Les écrans permettent d’insérer 4 fiches. Ils s’agit d’un carton assez épais sur lequel un carton fin est collé. Des emplacements ont été découpés pour y placer des filtres rouges. Les numéros permettent d’associer chaque mot à son numéro.
Les écrans représentent des machines, avec des boutons, des fils, et des étiquettes de la mascotte de Decrypto. L’arrière est aussi travaillé que l’avant et des compartiments sont visibles.
L’écran de l’équipe noire est noir, celui de l’équipe blanche est blanc.
- L’étiquette noire représente la petite machine équipée d’une clef, l’air décidée.
- L’étiquette blanche représente la mascotte souriante, les mains sur les côtés.
La machine noire semble être une « OCP 900 » et la blanche une « Incom ».
Les codes sont inscrits sur des cartes ressemblant à des disquettes (au verso). La marque de la machine est reprise (OCP, Incom).
Le recto montre la série de chiffres dans un écran.
Les jetons Malentendu et Interception sont respectivement noir et blanc, mais ils n’ont rien à voir avec les deux équipes.
Les jetons Malentendu symbolisent l’échec d’une équipe à transmettre son code en interne. La mascotte est représentée couchée, les bras étendus, comme si elle était morte ou ko.
Les jetons Interception prouvent la réussite d’une équipe à intercepter le code adverse. La mascotte est montrée en train d’écouter aux portes.
La feuille de notes est recto-verso : un côté noir, un côté blanc. Si le joueur est dans l’équipe noire, il place sa feuille de ce côté et note les mot-clés de l’interception du côté blanc.
Les indices s’inscrivent sur les 3 lignes de la manche (round) en cours. La colonne avec le point d’interrogation permet de proposer un code. Celle qui contient un « i » sert à placer le bon code.
Les colonnes 1, 2, 3, et 4 en bas de la feuilles permettent d’y reporter les indices associés.
La règle de Decrypto fait 11 pages. Elle est bien écrite et bien illustré. De nombreux exemples permettent de mieux comprendre le principe du jeu.
Mon avis
Decrypto est un jeu d’association d’idées et de communication. Il se joue de 3 à 8, mais n’est pas vraiment un « party game » : l’ambiance autour de la table est studieuse.
Il demande de la réflexion et de la déduction de la part des joueurs.
On peut presque dire qu’il est composé de deux jeux : le premier est de faire deviner des codes à ses alliés, et le second de trouver ceux de ses adversaires. Le principe semble très proche, mais ce n’est pas tout à fait le cas :
- Pour deviner les codes de leur propre équipe, les joueurs s’appuient sur les mot-clefs. La zone de recherche est donc cadrée et limitée : les indices correspondent forcément de près ou de loin à ces mot-clés. Ils n’ont pas besoin de trouver de liens et peuvent procéder par élimination.
- Pour deviner les codes de l’équipe adverse, les joueurs n’ont aucun référentiel. Ils doivent trouver des liens entre les mots des tours précédents pour détecter des similitudes. Ils doivent aussi faire attention à l’attitude et aux erreurs éventuelles de l’autre équipe. Le but n’est d’ailleurs pas de trouver les mot-clés, mais uniquement le code. Il m’est déjà arrivé de gagner en me trompant totalement sur les mot-clés adverses.
La manière de réfléchir et d’appréhender les indices est donc complètement différente.
Le rôle de l’encrypteur est difficile : il doit trouver des indices se rapportant aux mot-clés, mais qui ne soient pas trop évidents pour les adversaires. Les mots doivent être compréhensibles pour ses alliés, tout en restant assez larges. L’encrypteur doit jouer sur les différents sens d’un mot, voir même élargir son sens.
Ainsi, si le mot-clé est « soleil », il peut partir sur la couleur jaune ou sur le ciel en général. Si il connaît bien ses alliés, il peut même aller plus loin : 1 2 3 soleil, l’éditeur de BD Soleil, le cirque du Soleil, etc.
Le jeu est tendu. L’encrypteur est tenté de rester sur des mots simples, mais l’interception risque d’être trop facile. Il faut prendre des risques, quitte à se tromper. Comme les mot-clés restent les mêmes tout au long de la partie, les équipes accumulent de plus en plus d’informations sur les mots adverses et il devient de plus en plus simple de trouver les codes.
Comme j’ai déjà Codenames et que j’aime beaucoup le jeu, Decrypto ne me tentait pas vraiment. Il restait une place à une table à Cannes, je l’ai donc essayé… et acheté dans la foulée !
L’explication des règles est toujours compliquée. Les nouveaux joueurs ont du mal à visualiser comment tout s’imbrique et quel est vraiment le lien entre les mot-clés et les codes. Le plus simple est d’expliquer brièvement, puis de jouer pour bien assimiler les règles. Après quelques manches, tout est beaucoup plus clair.
La première partie ne sert souvent qu’à comprendre le jeu. Elle est généralement très rapides, avec des mots trop évidents.
À partir de la seconde, le jeu devient plus subtil et plus intéressant.
Pour moi, le nombre de joueurs idéal est entre 6 et 8. Decrypto se joue très bien à 4, mais je trouve intéressant de pouvoir discuter avec ses co-équipiers. Même si le jeu se joue par équipe, être en nombre impair n’est pas un problème.
À 3 la variante s’applique, mais j’ai un peu l’impression d’avoir un demi-jeu dans cette configuration : trouver des indices pour l’un, deviner le code allié pour l’autre, et trouver le code adverse pour le troisième.
Le sablier sert à réguler le temps de la partie : même si les deux équipes jouent en même temps, il peut arriver qu’un joueur mette longtemps à réfléchir. On peut utiliser le sablier pour le forcer à se dépêcher.
Je l’ai utilisé lors de ma première partie à Cannes, mais depuis il reste dans la boîte. Je trouve ça plus intéressant d’avoir des mots recherchés et réfléchis plutôt qu’écrits à la hâte.
J’aime beaucoup le thème et le côté rétro des illustrations. Peu de jeux de ce type (Codenames/Linq par exemple) ont un thème qui colle aussi bien et qui est mis en valeur de la sorte. Le matériel nous transporte dans cet univers d’espionnage : les cartes Code ont une forme de disquette, les fiches des mot-clés s’insèrent dans une sorte de machine décodeuse tout droit sortie d’un film, etc.
Deux petites nuances sur le matériel :
- Certains mots peuvent être lisibles sans filtre rouge, il faut faire en distribuant les cartes.
- Les pieds de la machine ne sont pas très solides. Ils peuvent se casser facilement, attention à toujours les enlever avant de les ranger dans la boîte.